Page images
PDF
EPUB

contrée située dans l'intérieur de la Guinée, et où l'indigotier est extrêmement commun, les naturels n'en tirent aucun parti.

Les nègres du Sénégal font de l'indigo avec une plante qu'ils appellent gangue. Il arrachent avec la main la sommité des branches, pilent ce feuillage jusqu'à ce qu'il soit réduit en une pâle fine, et en composent des petits pains qu'ils font sécher à l'ombre.

A Madagascar, les insulaires préparent leur indigo de la même manière. Quand ils veulent en faire une teinture, ils broient un des pains, et mettent la poudre avec de l'eau dans des pots de terre, et la font bouillir pendant quelque temps. Ils laissent ensuite refroidir un peu cette teinture, et ils y trempent leur soie et leur coton, qui, étant retirés, deviennent d'un beau bleu foncé.

On cultive depuis long-temps l'indigotier en Egypte. L'indigo s'y trouve même en si grande quantité dans toutes les parties de son territoire (Mémoire sur l'Egypte, par Bruguière et Olivier.), que son prix ordinaire n'y excède presque jamais 25 à 30 livres tournois par quintal; il est très-inférieur à celui de l'Amérique; il a pourtant plus d'éclat, mais, à poids égal, il contient moins de principe colorant. C'est aux procédés suivis dans sa fabrication, et à l'ignorance des hommes ́à qui elle est confiée, qu'il faut attribuer sa médiocre qualité.

Indigo d'Asie.

Cette belle partie de l'ancien continent est le vrai pays natal de l'indigo. Dans la suite de cet article, je donnerai quelquefois ce nom à la plante même; elle n'en porte pas d'autre dans nos colonies, et celui d'indigotier n'y est employé que pour désigner ou le propriétaire d'une plantation à indigo, ou l'économe qui a l'art d'en retirer la substance bleue que nous connoissons.

Il croît de l'indigo dans plusieurs endroits des Indes. Celui du territoire de Bagana, d'Indona et de Corsa dans l'Indostan, passe pour le meilleur.

Il y a plusieurs autres espèces de plantes telles que le neli, le colinil, le tarron dont les Indiens tirent l'indigo.

Les Persans et les Turcs, selon Herbelot (Biblioth.orient.) appellent nil, la plante que les Espagnols nomment par corruption annil ou anil, au lieu de alnil, qui est le mot turc avec l'article arabe al.

La manière de travailler cette plante n'est pas uniforme dans l'Asie, ni quelquefois dans les fabriques d'un même

canton. Parmi les diverses pratiques en usage, on en remarque deux principales, dont les produits se distinguent par les noms d'inde et d'indigo. Dans la manipulation de l'inde, on ne fait infuser dans l'eau que les feuilles de la plante, au lieu qu'on y met toute l'herbe, à l'exception de la racine, dans la fabrication de l'indigo. Outre ces deux procédés fort variés dans leurs circonstances, il y en a encore un autre usité dans les Indes, qui consiste à triturer et humecter des feuilles de cette plante, dont on forme une pâte ou espèce de pastel qui porte aussi le nom d'inde. On a vu que c'est à-peu-près ainsi que les nègres du Sénégal font leur indigo.

Les habitans de Sarquesse, village à quatre-vingts lieues de Surate et proche d'Amadabat, après avoir coupé cette plante, la dépouillent de tout son feuillage, et la font tremper pendant tente ou trente-cinq heures dans une certaine quantité d'eau. Après cela, pour en retirer la fécule, ils emploient, à quelques différences près, les mêmes procédés suivis dans nos îles, et que nous devons vraisemblablement aux Indiens. J'en parlerai bientôt.

L'auteur de l'herbier d'Amboine fait mention de deux manières de préparer l'indigo, l'une pratiquée par les Chinois, l'autre en usage aux environs d'Agra.

Les Chinois prennent les tiges et les feuilles de l'herbe verte, quelquefois même les souches et la racine, et ils jettent le tout dans une cuve qu'ils remplissent d'une quantité d'eau suffisante. Après avoir laissé macérer la plante pendant vingtquatre heures, ils jettent les tiges et les feuilles, et versent dans chaque cuve, trois ou quatre mesures nommées gantang, de chaux fine passée au tamis, qu'ils remuent fortement avec de gros bâtons, jusqu'à ce qu'il s'élève une écume pourprée. Après cette opération, ils laissent reposer la cuve pendant un jour entier, puis en tirent l'eau, et font sécher au soleil la substance déposée au fond. Pour en faciliter le desséchement, ils la divisent en gâteaux ou en carreaux, lesquels étant bien secs, forment un indigo propre à être transporté.

Voici la méthode suivie à Agra. Après les pluies du mois de juin, et lorsque l'indigo a atteint la hauteur d'une aune, on le coupe et on le met dans une tonne nommée tanck, qu'on remplit d'eau. On charge cette eau d'autant de poids qu'elle en peut porter; on la laisse dans cet état pendant quelques jours, jusqu'à ce qu'elle ait acquis une forte couleur bleue. Alors, on fait passer la liqueur dans une autre lonne, et on l'y agite avec les mains. Quand l'écume indique qu'il convient de cesser l'agitation, on y verse un quarteron d'huile', et on couvre la tonne jusqu'à ce que toute la partie bleue, qui, en

[ocr errors]

cet état, ressemble à de la boue, se dépose au fond. On fait écouler l'eau, on ramasse la fécule, on l'étend sur des draps et on la fait sécher sur un terrein sablonneux; mais pendant qu'elle conserve encore une certaine humidité, on en forme avec la main, des boules, qu'on enferme ensuite dans un endroit chaud.

Cette matière bleue est alors en état d'être vendue. On l'appelle dans l'Indostan noti; et chez les Portugais, bariga. Cel indigo ne tient que le second rang pour la qualité. Celui qu'on retire l'année d'après, des rejetons de la plante, iui est supérieur; il est nommé tsjerri par les Indiens, et cabeca par les Portugais. La troisième année, on fait encore une coupe, mais qui donne un indigo de bassé qualité ; il porte le nom de sassala ou de pée.

Le cabeca est très-bleu et d'une couleur très-fine; la substance en est tendre; elle flotte sur l'eau: elle produit une fumée violette lorsqu'on la met sur des charbons ardens, et laisse peu de cendres. Le noti ou bariga est d'une couleur tirant sur le rouge, lorsqu'on l'examine au soleil. Le sassala ou pée, est une substance très-dure, d'une couleur terne.

Indigo d'Amérique.

L'indigotier est cultivé dans le continent de l'Amérique et dans les îles formant l'Archipel du Mexique. Les parties du continent où on le cultive, sont, la Caroline, la Louisiane, le Mexique et la Guiane. Quoique la Caroline et la Louisiane se trouvent situées entre le 31 et le 41o degré de latitude septentrionale, la température de ces pays n'est pas plus élevée que celle des provinces de France qui bordent la Méditerranée.

On distingue trois sortes d'indigos à la Caroline: le sauvage, le franc, et celui qu'on y appelle faux guatimala. Ils exigent chacun un terrein différent. Le premier, indigène au pays, répond assez bien aux vues du cultivateur, par sa durée, par la facilité de sa culture, et par la quantité de son produit.

Le franc, qui est celui de Saint- Domingue, pousse un pivot fort long, et demande un terrein qui ait de la consistance; quoique d'une excellente espèce, on le cultive peu dans les cantons maritimes, parce qu'ils sont sablonneux; d'ailleurs, il est très-sensible au froid.

Le faux guatimala supporte mieux l'hiver; il est fort vigoureux, plus abondant, vient dans les plus mauvais terreins, et par ces raisons, est plus cultivé que le précédent, quoiqu'il soit moins bon pour la teinture.

L'indigo provenu des premières plantations qui eurent lieu dans l'Amérique septentrionale, fut pendant plusieurs années

d'une qualité très-médiocre, parce que les cultivateurs de ces contrées ne savoient pas le fabriquer; ils poussoient trop loin la fermentation; et la fécule putréfiee en partie, avant le rapprochement de ses molécules, ne donnoit qu'une pierre molle et d'une couleur terne d'ardoise. Ce n'est qu'à l'aide des Français qui se sont établis dans ces pays, qu'on y est insensiblement parvenu à faire un indigo moins imparfait et plus marchand. Mais quoique fabriqué depuis long-temps, suivant la méthode en usage dans les îles françaises, il est resté très-inférieur à celui de ces îles, qui a toujours dans le commerce un prix beaucoup plus élevé.

La différence constante dans la qualité de ces deux indigos, ne peut être attribuée qu'au climat. J'ai cultivé l'indigotier à Saint-Domingue pendant sept ans, et je me suis convaincu par plusieurs observations, que cette plante a besoin d'une chaleur forte et soutenue, non pour germer et s'élever, mais pour élaborer dans son sein les sucs qui donnent le principe colorant. Un peu de pluie lui est, à la vérité, nécessaire, surtout dans les premiers temps de sa croissance; mais quand après cette époque, elle est trop souvent arrosée, ou quand on est forcé par les circonstances de couper son herbe dans un temps frais ou pluvieux, on n'en obtient que peu d'indigo. Au contraire, lorsqu'il a fait très-chaud dans les quinze ou vingt jours qui ont précédé immédiatement la coupe, cette coupe est très-profitable; la fermentation est alors plus égale, le battage plus facile, la fécule plus abondante, et le grain de l'indigo plus fin et plus brillant; d'ailleurs, il sèche beaucoup plus vite, et par conséquent, on peut le faire ressuer plus tôt, et le mettre plus tôt dans le commerce.

Ces avantages ne peuvent avoir lieu, lorsque la même plante est cultivée dans des pays où l'hiver se fait sentir, ou qui sont sujets à des intermittences de chaleur et de fraîcheur, de pluie et de sécheresse. Sous la zône torride même, et principalement aux Antilles, on cultive plus communément l'indigotier dans les cantons voisins de la mer, parce que la température y est plus sèche et plus égale. Dans les doubles et triples montagnes où il pleut fréquemment, et où l'air est assez frais, cet arbuste parviendroit sans doute à une plus grande hauteur et prodniroit beaucoup de rameaux et de feuilles, mais il donneroit proportionnellement fort peu_dematière colorante. Celle qu'on retire de son herbe, dans la Caroline et la Louisiane, doit donc être inférieure en quantité et en qualité, à notre indigo des îles. Pourquoi le guatimale est-il si estimé? c'est parce que la province de ce nom qui le produit, est située à quatorze degrés de la Ligne.

De ces observations on doit conclure que l'indigotier cultivé dans le midi de la France, n'y réussiroit que foiblement. Déjà les habitans de la Caroline commencent à se dégoûter de celte culture; pourquoi chercheroit-on à l'introduire parmi nous? Les essais heureux dont j'ai parlé, de Rozier et du docteur Zuccagni, ne prouvent rien. En agriculture, le succès d'une plantation circonscrite dans une serre ou dans un jardin, n'est pas toujours un indice sûr du succès de cette même plantation faite sur un sol très-étendu. C'est comme en mécanique, où les petits modèles exécutent fort bien ce que souvent les grandes machines, construites d'après eux, ne sauroient exécuter. En général, dans le rapport des petits objets aux grands, il y a une foule de choses à calculer, qui, si elles échappent à l'oeil de l'observateur, donnent lieu à de fausses applications de sa part, ou à des assertions plus que douteuses. Le zèle de ceux qui voudroient voir naturaliser en France tous les végétaux utiles des deux hémisphères, est assurément très-louable; mais parmi ces végétaux, on doit faire un choix éclairé. Il me semble qu'il ne faut pas donner la préférence à ceux qui forment déjà un objet de grande culture dans nos colonies. Si le café, le coton et l'indigo réussissoient en France, et qu'il y fût permis de les cultiver, que deviendroient alors notre marine et notre commerce? et qui est-ce qui iroit chercher à deux mille lieues de sa patrie, des denrées qu'il trouveroit sous sa main au même prix, ou probablement à un prix très-inférieur?

Pour faire l'indigo dans la Caroline, on se sert de cuves et de tonneaux de bois de cyprès. On jette l'herbe dans une cuve à la hauteur d'environ quatorze pouces; on y met de l'eau: quand cette herbe commence à fermenter, on place au-dessus des pièces de bois en travers, afin d'empêcher qu'elle ne monte trop; on marque le point de sa plus grande crue. Lorsqu'elle baisse au-dessous de cette marque, on juge que la fermentation est à son plus haut degré, et l'on fait alors écouler l'eau dans une seconde cuve. Les procédés qui suivent sont les mêmes que dans nos colonies. Voyez ci-après.

III. ESPÈCES ou variétés d'Indigotier cultivées dans les colonies françaises de l'Amérique.

On en distingue trois, savoir: l'indigotier franc que j'ai décrit ; le bâtard, et le guatimala.

Le premier donne une fécule qui s'obtient aisément, et qui rend plus à la teinture; mais le succès de sa plantation est fort douteux. Comme il a une tige tendre et délicate, il est

« PreviousContinue »